Anatomie des accidents du travail en France : analyse des causes et des conséquences

Anatomie des accidents du travail en France : analyse des causes et des conséquences

 

Les accidents du travail (AT) connaissent une baisse constante et régulière depuis plus d’une décennie. Dans l’attente de la publication des chiffres de l’année 2015, Seton a cherché à analyser les chiffres disponibles (2014) pour tenter d’évaluer les causes et les coûts que génèrent les accidents en entreprise en France.

1. Faits et Causes

1.1. Qui, Combien et Quoi ?

La victime type est un homme, entre 40 et 49 ans, employé ou ouvrier qualifié, habitant les Bouches-du-Rhône, qui a été victime de lésions aux membres inférieurs ou aux mains suite à une manutention manuelle sur son lieu de travail. Voilà ce que les chiffres 2014 publiés par l’INRS nous apprennent (tous CTN confondus).

Toutefois, on peut noter dans ces chiffres des tendances fortes. Par exemple, les hommes sont plus touchés que les femmes (pour plus de 65% des AT) même si on observe une hausse constante de la courbe d’accidentologie féminine depuis 2001. Ce chiffre est peut-être expliqué par le fait que les secteurs plus à risque sont traditionnellement occupés par des hommes (BTP, métallurgie, etc.).

Le « trio » de tête des zones touchées lors d’un accident sont par ordre d’importance :

  1. Les membres inférieurs (24,5%)
  2. La zone dos-rachis-moelle épinière (21,1%)
  3. Les doigts et les mains (19,8%)

Il comprend d’une part les zones les plus exposées et fragiles (membres inférieurs, mains/doigts) et d’autre part la zone la plus sensible aux chocs et autres traumatismes, le dos (comprenant la colonne vertébrale et la moelle épinière).

Ces accidents se produisent majoritairement à la suite :

  • D’un mouvement du corps (23,8%)
  • D’une manipulation d’objet (18,3%)

Deux types de facteurs sont alors majoritairement représentés. Les facteurs « internes », les mouvements du corps, et les facteurs « externes », la manipulation d’objets.

Deux tranches d’âge sont particulièrement exposées, la tranche 40 à 49 ans et la tranche 50 à 59 ans, qui cumulent à elles deux un total de 41,8% du total des AT.

L'importance de la prévention des risques - infographie

Enfin les AT arrivent pour 75 % sur le lieu de travail habituel, contre 5% lors d’un déplacement.

1.2. Pourquoi ?

Au-delà d’un effet réducteur de catégorisation, on s’aperçoit que les AT arrivent en majorité à des travailleurs qualifiés et expérimentés. Cela peut sembler surprenant si l’on considère que ces populations ne sont pas censées présenter de lacunes de formation tant sur leur outil de travail que sur la sécurité.

De plus ces accidents arrivant dans un environnement connu et maitrisé (le lieu de travail habituel), on ne peut pas évoquer un problème dû à a la méconnaissance du lieu de travail et de ses dangers ou un manque de protection ou d’équipements de sécurité adéquat.

Plusieurs hypothèses peuvent être considérées pour tenter d’expliquer cette surreprésentation.

Tout d’abord les tranches d’âge 40-49 ans et 50-59 ans sont les plus nombreuses sur le marché du travail, ce qui mathématiquement pourrait expliquer ce surnombre d’accidents par rapport aux autres tranches d’âge.

Routine, habitude, perte de vigilance : ce type de comportement se retrouve dans les accidents de la route.

Isabelle Leleu, Eurogip

Par ailleurs, ces accidents peuvent également être dus à un excès de confiance et de baisse de vigilance, dues à une certaine routine (monotonie).

Enfin, il y a peut-être également une sous déclaration d’accidents du travail dans les autres tranches d’âges, en particuliers chez les travailleurs jeunes (moins de 30 ans). Ce phénomène de sous déclaration peut être généré par le manque de stabilité dans l’emploi (emploi temporaire, contrat à durée déterminée), plus présent parmi cette population de jeunes travailleurs.

Les accidents graves (plus de 3 jours d’arrêt) génèrent un niveau élevé de sous déclaration. Les taux de déclaration sont plus élevés chez les travailleurs occupant des emplois déclarés et stables comparés aux travailleurs plus jeunes qui sont plus susceptibles d’être employés dans des emplois informels et temporaires.

Birgit Müller, Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail

A noter que les conséquences d’un AT peuvent s’étendre dans le temps, et générer un arrêt ou l’attribution d’une incapacité (et d’une rente) des années après l’accident lui-même.

2. Les Coûts

Le coût lié aux AT est complexe à définir. Si on parle des nombres de journées perdues, il est en diminution en France et en Europe. Si on parle des coûts indirects (frais de santé, frais annexes…), il dépend du coût général des dépenses de santé & frais annexes, et suit donc le coût général des dépenses.

Antoine Bondeelle – INRS

Le principe de financement des AT est basé sur un équilibre entre cotisations sociales et prestations (incluant également les coûts de la prévention et de gestion). Les cotisations sont entièrement à la charge des employeurs et déterminées en fonction de l’activité exercée, des salaires versés et du coût total des AT, ce système cherchant à concilier deux principes (mutualisation du risque et personnalisation des taux).

Même s’il est très compliqué de chiffrer précisément le coût, à cause notamment de la dilution des conséquences d’un AT dans le temps, il n’en reste néanmoins que les accidents coûtent cher.

Seton a tenté de calculer le coût global engendré par les AT sur un an.

Ce calcul est d’autant plus ardu qu’il existe différents paramètres à prendre en compte rendant difficile, sinon impossible, un calcul précis.

Nous avons cependant tenté un calcul en utilisant des données fixes et des moyennes en le rapportant aux chiffres existant.

La somme totale calculée est assez conséquente. Les AT auraient coûté, en France en 2014, la somme de sept milliard cinq cent trente-quatre million quatre cent cinquante-deux mille vingt-deux euros (7 534 452 022 €).

Coût des accidents du travail

 

2.1. Le nombre d’accidents du travail et les notions de coûts directs et indirects

Même si paradoxalement le nombre d’accidents du travail a été divisé par 3 en 10 ans, les coûts liés continuent à augmenter. Entre autres pour des facteurs structurels et une meilleure prise en charge en cas d’accident.

Certes il y a une baisse des accidents du travail, mais il y a une augmentation des rentes ce qui entraine une augmentation des dépenses. Il s’agit d’une tendance européenne et pas uniquement française.

Isabelle Leleu, Eurogip

Il est vrai qu’en général, le taux d’accidents du travail a diminué dans toute l’Europe d’année en année, et l’objectif fixé dans la dernière stratégie de l’UE en matière de SST d’une réduction de 25% a été atteint. Le coût d’un accident donné aura augmenté sur la même période, rien que par l’inflation. D’autres facteurs, tels que les coûts de soins de santé, perte de salaire, la perte de productivité et la douleur et la souffrance peuvent également être inclus dans le calcul des coûts et devraient augmenter d’année en année.

Birgit Müller, Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail

En effet, les facteurs structurels font que les coûts augmentent en fonction du rythme de l’inflation mais également en fonction du principe de financement. C’est comme un cercle vicieux, l’augmentation de la gravité des accidents entraine l’augmentation des rentes, qui entraine l’augmentation des taxes/charges.

Enfin, d’autres facteurs sont maintenant pris en compte dans les calculs (coût des soins de santé, la perte de revenus et de productivité, mais également la douleur et les souffrances engendrées) et ont tendance à augmenter d’année en année.

On peut distinguer deux types de coûts liés à un AT.

Les coûts directs. Ils représentent la « face visible de l’iceberg » qui sont les frais de santé (médicaux et chirurgicaux, pharmaceutiques, hospitalisation et rééducation), les indemnités journalières et les frais de gestion.

Les coûts indirects (3 à 5 fois supérieur aux coûts directs). C’est la « face cachée de l’iceberg » impliquant les coûts des arrêts de production, de l’enquête administrative, de remplacement de l’accidenté, les coûts liés au maintien du salaire au-delà du plafond, les coûts de réparation des dégâts matériels, etc.

Le coût moyen d’un AT peut en moyenne aller de 2 000 € (accident avec arrêt de travail : indemnités journalières et soins de santé) à 78 000 € (accident avec IP>10% : capital représentatif des rentes).

2.2. Dommages collatéraux

Enfin, il existe des coûts invisibles et inchiffrables. Considérés comme subjectifs, ils peuvent être comparés à des dégâts collatéraux, ce sont les coûts humains. Il s’agit des coûts psychologiques et sociaux, de l’impact sur la vie professionnelle et de l’impact sur la vie familiale.

Une fois que la situation est stabilisée, que le corps est pris en charge, l’appareil psychique va recouvrer l’ensemble de son fonctionnement et le patient va se trouver confronter au retentissement psychologique de l’accident : Le Stress Post Traumatique. Il s’agit d’un ensemble de symptôme qui atteste d’un certain équilibre psychologique. C’est un processus normal qui permet en quelque sorte de digérer l’accident.

Sabrina Lomel, Psychologue et Coordinatrice au Réseau Prévention Main IdF

Une tentative pour pallier ces coûts est d’essayer d’avoir une meilleure prise en charge, plus globale et plus exhaustive en cas d’accident. Notamment en incluant un support psychologique ou encore en essayant de compenser le coût financier lié à la baisse de revenus.

Malgré une baisse constante des AT, il reste encore une marge de progression en ce qui concerne la prévention. Celle-ci peut prendre plusieurs formes, de la formation à l’utilisation d’équipements de sécurité.

Grâce à la précision des chiffres relevés sur le terrain, on obtient un aperçu permettant de cibler les situations à risque. Ainsi une hausse globale des budgets alloués à la prévention, doublée d’un ciblage sur les situations identifiées, pourrait aider à endiguer la hausse des coûts constatée.

La prévention des accidents du travail est un véritable enjeu social et humain assure la santé et la sécurité des salariés, anticipe l’usure professionnelle et diminue les pénibilités physiques et morales des travailleurs.

Docteur Vincent Bonniol

L’équipe Seton